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Covid-19 : la bataille des récits

Jean Viard était notre invité dans notre émission du mardi 7 avril 2020.


Jean Viard est sociologue et directeur de recherches CNRS au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris. D’un grand éclectisme, il s’intéresse à l’aménagement du territoire, à l’agriculture, aux temps sociaux (vacances, 35 heures), à la mobilité, à la question migratoire et aux comportements politiques.


Dans cette première saison consacrée à la crise du Coronavirus, Jean Viard souhaite que nous nous projetions dans l’après pour faire de cette période terrible une opportunité de réinvention.


Au programme :

- L'article l Une interview de notre invité

- Le récap' l Le replay de son intervention accompagné d'une synthèse

- Pour aller plus loin... l Des ressources pour approfondir les sujets abordés




Qu’est-ce que la crise du Coronavirus a changé dans ta vie ?


Je vis dans le sud du Luberon, dans une vielle ferme. On peut dire que j’ai des conditions optimales de survie, sans aucun problème matériel. Après, j’ai des choses qui me manquent, comme ma petite fille qui ne comprend pas pourquoi son grand-père ne la prend plus dans les bras. Et sortir aussi, car je suis un être profondément social...


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Crise du coronavirus : retrouver le futur - Jean Viard



Assistons-nous à un bouleversement de l’échelle des métiers ?

La hiérarchie actuelle des métiers est effectivement discutable. Dans les années 60, il y avait l’idée que l’écart de rémunération entre les métiers ne puisse pas être supérieure à 8. Puis cette idée s’est complètement perdue et les écarts ont énormément augmenté. Malgré ce qu’on peut penser, l’écart entre les revenus moyens s’est plutôt rapproché mais 0,1% de la population a eu des revenus extrêmement élevés donnant un profond sentiment d’injustice. Jean Viard en cette période de crise plaide pour une augmentation de 200 euros du SMIC dans l’idée d’un geste symbolique. Pour lui, il ne s’agit pas uniquement d’une question d’argent. C’est réévaluer leur position dans la société. En 1968, l’Etat a par exemple augmenté le SMIC de 30%, une marque de respect et de reconnaissance pour le monde ouvrier.


Devons-nous conditionner la relance économique ?

Dans l'idéal, la relance économique devrait être compatible avec les enjeux environnementaux.

Toutefois aujourd’hui nous devons avant tout nous assurer qu’il n’y ait pas d’effondrement de l’économie pour éviter une montée du nationalisme. En ce moment, nous mettons des barrières partout, la notion de frontière reprend de sa valeur. Si on y ajoute une explosion du chômage, la situation risque rapidement de devenir incontrôlable. Dans le contexte actuel, l’intérêt du modèle français est son fondement solidaire. Nous avons actuellement 5 millions de chômeurs à temps partiels, la capacité de nous soigner et de nous nourrir correctement. En contrepartie, il s’agit d’un système lourd et donc difficile à transformer.


Malgré la fermeture des frontières, la solidarité entre pays a été renforcée puisque nous collaborons toutes et tous ensemble à l’échelle mondiale pour trouver un vaccin. Il y a plusieurs décennies nous avons cru que les règles du marché capitaliste étaient capables de régler tous les problèmes de notre vie. Nous avons commencé à importer en oubliant complètement la question des souveraineté et en ne regardant que la qualité et le prix. Nous avons dévalorisé le politique au profit du marché. Actuellement, nous nous interdisons de sortir de façon solidaire et citoyenne, dans un effort collectif. Le citoyen reprend le pas sur le consommateur et permet ainsi de redonner de la valeur au politique.


À la sortie de cette crise nous allons bien sûr recommencer à consommer même s’il y aura des évolutions et peut-être une exigence politique sur le fait que la société change et notamment sur la question du climat parce qu’au fond le virus de la Covid-19 c’est un petit élément sur le marché en Chine qui bouleverse le monde entier. C’est la nature qui détruit en ce moment notre modèle. Si nous ne la respectons pas, nous risquons des catastrophes. Nous pouvons qualifier ce virus de lanceur d’alerte.


Y aura-t-il un avant/après dans l’organisation de nos sociétés ?

Aujourd’hui, nous avons perdu le futur. À une époque, nous avons eu le futur de la révolution, puis après la révolution, le seul futur que nous ayons eu était celui du réchauffement climatique. Ce futur n’a pas de qualité positive. Dans les sondages, environ 80% des français disent préférer le passé. Ce qui est terrifiant dans nos sociétés.

Dans ce moment chacun.e crée une histoire et une mémoire commune. Jusqu’à notre mort, 2020 restera une date clé. C’est toujours la mémoire de la crise précédente qui construit la crise qui va suivre. C’est très paradoxal ce qui se passe car des gens meurent et souffrent et pourtant nous vivons un moment exceptionnel qu’il soit heureux ou malheureux. Et c’est l’exceptionnel qui crée la mémoire. On marque un départ dans l’idée que toute l’humanité est capable de travailler ensemble. C’est le récit qui construit l’histoire et pour l’instant il n’est pas encore là. La mise en récit (auteurs, cinéastes, etc.) va réduire le phénomène. Quel accent va-t-elle utiliser ? Celui sur la solidarité ? La coopération ?







📙 Éditions de l’Aube : bibliographie de Jean Viard



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